Quand la nouvelle génération musulmane américaine prend le pouvoir

9:30 - September 02, 2018
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Créatrices de mode, activistes communautaires, parents engagés. Le profil de la nouvelle génération de musulmans américains ressemble à une mosaïque déconcertante. Selon le Pew Research Center, l’islam, l’une des religions les plus ethniquement diversifiées du pays, connaîtrait un nouveau souffle aux États-Unis.

Pour en avoir le cœur net, la journaliste Leila Fadel a traversé le pays pour partir à la rencontre de ces Américains de confession musulmane qui ont décidé de redéfinir leur vie et leur « récit » national.

Quand la nouvelle génération musulmane américaine prend le pouvoir

De nombreux musulmans américains se sont retrouvés sur la défensive après les attentats du 11 septembre 2001. Mais l’actuelle génération déclare en avoir « marre » de devoir s’excuser et semble déterminée à prendre le contrôle de son propre récit national, créant par là-même de nouvelles voies pour les 3,45 millions de musulmans américains.


Lassés de devoir se défendre, les jeunes se redéfinissent eux-mêmes. Dans un climat politique tendu, ils sont moins soucieux d’expliquer l’Islam aux autres que de contribuer à enrichir la tapisserie américaine en y apportant leurs propres couleurs et perspectives personnelles.


En Californie, Jihad Turk est à la tête de Bayan Claremont, la seule école islamique du pays. Sur place, il raconte à ses étudiants que « la preuve que nous sommes intégrés en Amérique est que nous ne sommes plus seulement des consommateurs de culture mais aussi des producteurs de culture. Nous contribuons à l’art et à l’esthétique américaine. »

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JIHAD TURK EST LE PRÉSIDENT DE LA BAYAN CLAREMONT.


« La seule façon d’être représentée est de vous représenter vous-mêmes »

Ikhlas Saleem et Makkah Ali sont les meilleures amis d’Atlanta comme elles aiment à le penser, issues de communautés musulmanes noires et mariées. Elles disent en avoir assez d’être invités à réagir face aux musulmans qui commettent des actions répréhensibles. Elles ont donc lancé leur propre podcast pour se poser les questions que personne ne leur posait et témoigner de leurs expériences de femmes noires et de musulmanes en Amérique.


Le podcast ressemble beaucoup aux deux jeunes de 28 ans qui l’ont lancé – alternativement léger et sérieux. Ikhlas a un diplôme d’études supérieures de Harvard et Makkah un diplôme d’études supérieures de l’Université George Mason.


Lorsqu’elles se sont rencontrées comme étudiantes au Wellesley College, elles refusèrent de « changer de code » ou de changer leur façon de communiquer. Sur leur podcast, elles débattent avec leurs invités de différents sujets comme l’art, l’identité, la race, le mouvement #MeToo, la question du genre et de la religion.

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IKHLAS SALEEM ET MAKKAH ALI.


Au cours d’une conférence organisée en février à New York, elles ont encouragé leurs coreligionnaires à se prendre en main.


« Je veux voir les musulmans construire leurs propres plates-formes », a déclaré Saleem au public. « La seule façon d’être représentée est de vous représenter vous-mêmes. »


Le public d’Ali et Saleem, composé d’environ 3 000 auditeurs, est principalement composé de jeunes musulmans comme elles. Plus de la moitié des musulmans d’Amérique ont atteint la majorité après les attentats du 11 septembre. « Nous vivons au jour le jour », dit Ali, « nous devons gérer notre frustration, nos budgets et nos relations ».


« Nous sommes en train d’être effacés du récit national »

Dans le sud de Los Angeles, Jihad Saafir transforme la mosquée de son père en un édifice beaucoup plus ambitieux pour y inclure une école et un centre communautaire.


« Nous abordons ce qui s’est passé historiquement dans la communauté afro-américaine et dans la communauté africaine. Nous veillons à ce que les enfants sachent qui ils sont, leur identité. »


La génération actuelle de musulmans afro-américains s’investit de plus en plus dans les institutions construites par leurs parents et grands-parents. Environ un tiers des musulmans nés aux États-Unis sont afro-américains.

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« Non seulement nous perdons la génération qui nous a précédé et mais nous aussi sommes en train d’être effacés du récit national », a déclaré Su’ad Abdul Khabeer , l’auteur de l’ouvrage Muslim Cool : Race, Religion et Hip Hop aux Etats-Unis.


Su’ad Abdul Khabeer estime que cet effacement provient en partie de la focalisation, négative ou positive, faite sur les communautés d’immigrés musulmans et de la représentation de l’islam comme une religion étrangère. Trop souvent, selon elle, les musulmans noirs « héritent de leurs identités plutôt que de les définir ».

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SU’AD ABDUL KHABEER AU COURS D’UNE INTERVENTION À L’UNIVERSITÉ DE STANFORD.


Su’ad Abdul Khabeer dirige Sapelo Square, un site Web consacré aux musulmans afro-américains. Pendant les fêtes religieuses, les gens publient des photos de leurs célébrations sur les médias sociaux avec le hashtag #blackouteid. D’après elle, les musulmans afro-américains n’ont jamais ressenti le besoin de défendre leur foi car l’islam, dans les communautés noires, a toujours été conçu comme une forme d’autodétermination.


« Le travail, en soi, est un culte, une façon de vénérer Dieu »

Au sud de Chicago, le Réseau d’action des musulmans de l’intérieur des villes a pour acronyme IMAN. IMAN considère l’activisme social et l’organisation de la communauté comme un moyen de transmettre l’islam à la prochaine génération.


« Nous essayons de célébrer l’héritage spirituel d’un islam de transformation, d’autonomisation et d’inspiration qui ne se contente pas de s’excuser constamment ou de s’expliquer », a déclaré le fondateur de l’association, Rami Nashashibi.


Le travail, dit-il, honore la tradition de l’islam dans les communautés urbaines où la religion a été adoptée comme outil d’autonomisation.

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RAMI NASHASHIBI.


IMAN est une coalition de musulmans noirs, sud-asiatiques, arabes, latinos et autres. Certains vivent dans le sud de la ville, d’autres en banlieue. Ses membres tentent d’apporter des changements sur les questions importantes pour la vie des habitants des communautés urbaines et qui sont souvent négligées. Ces questions incluent l’accès à la nourriture, les soins de santé dans leurs cliniques, la réforme de la justice pénale et un programme de réinsertion pour les personnes qui sortent de prison.


« Le travail, en soi, est un culte », dit Sara Hamdan de l’IMAN, « au sens où il y a de la bénédiction dans tous les services et l’organisation que nous proposons. Cela est une façon de vénérer Dieu. »


Sara Hamdan a une vingtaine d’années et porte un foulard, un choix motivé par sa conviction « spirituelle ».


IMAN a récemment ouvert une succursale à Atlanta. Pour ce travail, Rami Nashashibi a reçu une « bourse » de la Fondation MacArthur pour « construire des ponts entre les divisions raciales, religieuses et socioéconomiques et relever les défis de la pauvreté et du désinvestissement dans les communautés urbaines ».


Les musulmans américains sont originaires de plus de 75 pays !

Lorsque la mosquée de Victoria, au Texas, a été incendiée en janvier 2017, beaucoup de jeunes de cette communauté avaient vu leurs parents sangloter pour la première fois.


Mais les cendres du lieu de culte ont suscité un sentiment de fierté renouvelé dans leur foi et le soutien envers leur communauté.


L’année dernière, plus de 100 mosquées ont été victimes d’incendies, de menaces ou de vandalisme dans tout le pays, selon le Council on American-Islamic Relations. Le FBI avait déjà constaté une augmentation des crimes de haine contre les musulmans en 2015 et 2016. Les incidents dans les mosquées vont des menaces de mort aux bâtiments incendiés comme celui de Victoria.


La communauté de Victoria a apporté un énorme soutien, aidant la mosquée à recueillir plus d’un million de dollars. La communauté musulmane située au sud-est de San Antonio se reconstruit elle aussi et espère pouvoir prier dans une nouvelle mosquée d’ici cet été.


Au Centre culturel islamique bosniaque de Chicago, une chorale de filles qui se produit devant la congrégation, entonnent des chants sur Dieu, le Prophète et l’islam. Enessa Mehmedovic, 24 ans est bénévole et a choisi les tenues pour les chanteuses de la chorale.

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LA CHORALE DU CENTRE CULTUREL ISLAMIQUE BOSNIAQUE DE CHICAGO.


Elle nous confie que certaines de ces jeunes femmes se sont disputées avec leurs parents parce qu’elles voulaient se couvrir les cheveux, ce que ceux-ci refusaient craignant qu’elles soient victimes d’agression islamophobe. Pour ces jeunes femmes, le port du voile comporte une forte charge émotionnelle et aussi spirituelle à cause de leur apparence européenne qui ne permet pas, selon elles, de les identifier à des musulmanes.


D’après le Pew Research Center, les musulmans américains sont originaires de plus de 75 pays, et les 2 000 mosquées du pays varient considérablement selon la tradition et la pratique de ses fondateurs et gestionnaires.

Leila Fadel

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